Je vous pose la question : c’est qui Luc Martineau? Artiste ou homme de loi?
Il y a des jours où je ne sais plus vraiment qui je suis. Est-ce qu’on se définit par ses actions, son éducation, sa famille, sa profession, ses croyances, ses passions, ou est-ce tout cela à la fois? C’est un fait, je n’ai aucune formation universitaire en arts visuels. Je suis d’abord et avant tout un juriste ayant fait carrière comme avocat, médiateur et arbitre avant d’accéder à la magistrature fédérale. Aujourd’hui, en m’affichant également comme artiste, je fais le grand saut, mais quel « beau risque »!
« J’aurais voulu être un artiste pour pouvoir dire pourquoi j’existe » : c’est le « Blues du businessman » dans Starmania. On connaît la chanson et la triste lamentation de l’interprète…
C’est bien vrai, mais dans mon cas, « non, je ne regrette rien », pour reprendre la rengaine d’une autre chanson archiconnue du répertoire francophone. De fait, la profession juridique m’a ouvert l’esprit sur les inégalités sociales et la dimension existentielle du droit : je n’avais pas besoin d’être un artiste pour pouvoir dire pourquoi j’existe. La justice était un idéal de vie que j’ai compris bien jeune, tandis que peindre, comme l’amour, c’est devenu un PLUS dans ma vie…
Ignace de Loyola, fondateur de l’ordre des Jésuites, aurait dit un jour : « Confiez-moi un enfant jusqu’à ses sept ans, et j’en ferai un homme ».
Peut-être bien, il faut voir… Je suis encore un baby-boomer! Quoi qu’il en soit, le Québec des années cinquante a bien changé depuis. Papa était comptable et maman est demeurée à la maison suite à la naissance du petit Luc et des trois autres enfants du couple. Mes parents désiraient le meilleur pour leurs enfants et croyaient en la valeur d’une formation classique et universitaire. Mon grand-père que je n’ai pas connu était avocat ,ainsi que l’aîné de la famille de papa. On disait souvent à la blague que trois voies de réussite s’offraient à nous : droit, administration et médecine! J’ai choisi la première à mon plus jeune âge.
Votre future carrière était toute tracée quoi!
D’une certaine façon, on peut dire cela. À dix ans, je me voyais déjà en futur Perry Mason : comme le justicier du petit écran, j’allais défendre tous ces innocents injustement accusés des crimes les plus odieux. Pourtant, je ne connaîtrai jamais les cours d’assises. Il n’empêche, la question humaine primera toujours et une grande part de ma carrière d’avocat sera consacrée au droit du travail, qui deviendra pour moi la justice en action!
Revenons à nos moutons : une graine d’artiste ne peut-elle jamais trouver un terreau fertile dans une famille de juristes?
Je crois bien que oui. Enfant, j’écrivais déjà de courts poèmes pour exprimer mon for intérieur. Je dessinais beaucoup, je créais même de petites bandes dessinées. Et, si Tintin était mon héros, j’admirais par-dessus tous les magnifiques images d’Hergé, qui me faisaient tant rêver! Cependant, je ne me doutais pas que la peinture allait devenir plus tard une passion et me permettrait de demeurer en équilibre, sur la corde raide du droit bien entendu! Pourtant, j’aurais pu décoder quelques signes avant-coureurs. Car si le droit était inscrit dans mon ADN, les arts faisaient également partie du bagage génétique familial, il fallait seulement regarder du côté féminin!
Vous pensez à votre mère?
Oui, c’est maman qui m’a initié à la littérature française, à l’opéra et au septième art. Ce fut d’abord Victor Hugo, à la fois poète, romancier et politicien. Ha! Si seulement un jour son fils aîné… Elle m’encourageait à écrire des vers et à réciter mes poésies devant la famille et les amis. Elle était ma première admiratrice ! Ensuite, il y avait l’opéra, sa passion ultime, bien qu’elle n’ait pu faire carrière. Possédant une magnifique voix de soprano colorature, maman avait pris des cours de chant classique. L’opéra, c’était le drame humain mis en scène grâce au talent du librettiste, du compositeur et des interprètes. Elle adorait également le cinéma français, Jean Cocteau, Marcel Carné, j’en passe, et ce sont d’ailleurs leurs films, en noir et blanc et remplis de poésie, qui allaient nourrir mon imaginaire des années durant!
Vous pouviez ressentir ses aspirations et désirs refoulés?
C’est certain, et ses peurs également! Maman n’avait pas appris l’italien. Heureusement, cela me permettait de mieux apprécier les envolées lyriques de notre jeune mère. « On m’appelle Mimi », de l’opéra vériste « La Bohème » de Puccini, c’était son grand air, comme pour nous rappeler, à nous les enfants, comment les vies de poète et d’artiste-peintre sont précaires… Et je ne parle pas de ce pauvre Modigliani que maman m’a fait connaître sous les traits de Gérard Philippe dans « Montparnasse 19 » de Jacques Becker. D’ailleurs, lorsque j’ai effectué en solitaire, à 19 ans, mon premier voyage en Europe, c’est dans le quartier de Montparnasse que je me suis retrouvé, et que pas très loin, au Jardin du Luxembourg, un beau matin de dimanche, j’ai récité des poèmes devant les badauds, avec une jeune fille qui m’accompagnait de sa guitare!
C’était votre Bohème à vous, mais elle n’a pas duré longtemps… Vous avez choisi le droit!
C’est vrai. À l’adolescence, j’ai bien songé à devenir écrivain ou cinéaste. J’avais écrit un court roman et des poèmes qui ne seront jamais publiés. J’avais réalisé des petits films d’amateur. J’avais gagné un prix en photographie. J’avais organisé des nuits de poésie. J’avais même monté un spectacle de danse moderne. Bref, j’allais dans toutes les directions artistiques, sans être prêt à me lancer dans l’inconnu. En 1974, je me suis inscrit à l’université d’Ottawa pour y faire mon droit civil. J’ai été admis au Barreau du Québec en 1978, l’année même où je perdais ma grand-mère Martineau. C’était significatif, car elle comptait beaucoup pour moi. Heureusement, il allait subsister quelque chose de très important de son héritage artistique…
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE- LA SUITE DANS MON PROCHAIN BILLET!